Bangou Tandia, l’as de la terre

Article : Bangou Tandia, l’as de la terre
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5 août 2024

Bangou Tandia, l’as de la terre

Dans la contrée de Diafounou (région de Kayes au Mali), le quadragénaire est un modèle de l’entreprenariat rural. Celui qui n’a pas pris pour option ni l’école ni la migration a choisi le métier de la ferme.

Mardi 30 juillet 2024. Le ciel est obscurci par une escadrille de gros nuages. Bravant la pluie qui menace, des hommes à moto traversent la route Yelimané-Kayes et se dirigent vers la savane. Tenant sur la tête un récipient, contenant des provisions (nourriture et eau), des houes et des graines de mil et d’arachide, des femmes en voile, accompagnées des enfants qui conduisent quelques moutons, prennent la même direction.

Confrontés au manque de formation et d’assistance, seuls quelques rares jeunes osent entreprendre au village

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Pendant que les paysans se précipitent vers les champs, des jardiniers cultivent un domaine, entouré de fil de fer, au bord de la route. Pour les rejoindre, nous marchons les quelques mètres menant à l’entrée principale, du domaine, située à l’est.
À l’intérieur du site verdoyant, un silence de cloître contraste avec le bruit des moteurs des véhicules et les vrombissements des motos qui défilent sur la route. Non loin de l’entrée, se dresse un logement en banco, toituré de tôle ondulée, mais crépi de l’extérieur en ciment.

Bangou Tandia dans sa ferme juillet 2024 / image : Khaled Mohamed

A côté de cette construction, servant à la fois de dortoir et de magasin de dépôt, est installé un hangar en paille meublé de deux chaises pour la réception des visiteurs. Comme pour chercher la fraîcheur et l’air, le logement et le hangar s’ouvrent vers le sud.
En face, s’étale un large champ, hérissé de jeunes plantes et des pieds de gombo en maturation. La taille imposante, la peau noire, la tête rase, des lunettes sombres sur les yeux, un homme en tee-shirt bleu ciel se promène dans les sillons. Le visage détendu, la voix grave mais posée, Bangou Tandia nous reçoit dans sa ferme.

Bangou Tandia dans sa ferme juillet 2024 / image : Khaled Mohamed

« Avant de devenir fermier, j’ai été inspiré par les maraîchers de Diombougou (contrée située à quelques dizaines de kilomètres de Kayes) qui ravitaillent nos villages en légumes et fruits », se souvient l’entrepreneur. Ambitieux, Tandia part à Marena, un village de Diombougou en 2015 pour la pratique du jardinage. De retour au bercail en 2017, il bénéficie d’un terrain de deux hectares à la périphérie de son village natal.


Centre Songhaï, une expérience

En 2018, Bangou Tandia était parmi la centaine de bénéficiaires de six mois de formation dédiée aux techniques de gestion de la ferme à Kenieba (Mali). Initiées par les ONG allemandes (PADI et GIZ), les sessions étaient dirigées par les techniciens du centre Songhaï du Bénin. « C’est au cours de cette formation que j’ai vraiment aimé le métier du fermier. Après la phase théorique, nous sommes allés au Bénin pour vivre les réalités sur le terrain. », reconnait-il.

Bangou Tandia dans sa ferme juillet 2024 / image : Khaled Mohamed

Du haut de cette expérience, le fermier démarre ses activités en 2019 avec un budget de départ de 5 millions de F CFA. Sur le site, deux forages, comprenant deux châteaux d’eau, deux puits et des panneaux solaires, reliés par des robinnets et tuyaux qui jalonnent les planchers, sont installés.
« Le forage, précise l’entrepreneur, a été installé grâce à l’appui d’un parent (un ressortissant village établi à Bamako) qui a financé l’infrastructure à plus de quatre millions de F CFA« . En effet, c’est à partir de 2021 que le projet de l’élevage a vu le jour. Même si l’agriculture est jusqu’ici la principale source des revenus de la ferme.

Depuis 2019, l’orange, le gombo, la tomate, l’oignon, l’aubergine et le concombre constituent les produits du maraîchage. Pour faciliter la tâche, Bangou Tandia emploie trois ouvriers permanents pour l’arrosage, le sarclage et la récolte du champ. Chaque trois mois, les fruits et légumes rapportent au minimum deux millions de F CFA de bénéfice. Une aubaine au sein d’une paysannerie habituée à attendre neuf mois avant de renouer avec l’agriculture saisonnière.
Président de l’association des jeunes du village, son frère ainé, Boubou Tandia, ne cache pas sa satisfaction. « En plus de l’avantage de vivre parmi les siens, les revenus de mon frère dépassent largement ceux des émigrés, dont la plupart économisent à peine un million de F CFA au bout de quelques mois », soutient-il.


Pression sociale

Devenu un modèle, Tandia reçoit de nombreux visiteurs dans sa ferme. « Beaucoup de personnes ont manifesté leur passion pour le travail de la ferme. Parfois, des visiteurs viennent même de Diombougou, où j’ai appris le jardinage, pour demander des idées. Sans compter les messages et appels téléphoniques des maraîchers et fermiers d’autres villages. », se réjouit-il.

Bangou Tandia dans sa ferme juillet 2024 / image : Khaled Mohamed

Pourtant, l’entrepreneur se heurte à une pression sociale au départ. « Lorsque j’ai ouvert la ferme, des personnes n’ont pas hésité à me démoraliser, déplore-t-il. D’autres ont estimé que le sol sablonneux du site n’est pas fertile en le comparant aux terres arables se trouvant au nord du village, derrière une mare. »

Surmontant cette difficulté, le fermier ne quitte pas son site : « En réalité, il n’y a pas de terre qui ne se prête pas au maraîchage, nous avons juste besoin de l’eau pour rendre la terre plus fertile. Au cours de notre séjour au centre Songhaï, nous avons rencontré des fermiers qui cultivent des sols plus arides que le nôtre. Dans certains milieux, les agriculteurs transportent même la terre d’un endroit à un autre et font des bonnes récoltes. », témoigne le maraîcher.

Dans la ferme de Bangou Tandia, juillet 2024 / image : Khaled Mohamed

Situé à l’entrée du village, au bord de la route Yelimané-Kayes, l’emplacement de la ferme est un atout majeur. D’après le fermier, la plupart des visiteurs ont découvert l’endroit juste en passant sur la route. Cependant, l’accès est plus facile pour les marchands qui ravitaillent les villages environnants. « Pour la vente des fruits et légumes, nous faisons les dépôts des récoltes près de la route. Les clients viennent juste les chercher là-bas », souligne-t-il.


Le système intégré

Au centre Songhaï, Bangou Tandia a appris les techniques du maraîchage, mais aussi celles de l’aquaculture et de l’élevage du bétail et de la volaille. Pour appliquer ce qu’il appelle le système intégré (qui consiste à mener à la fois les différents secteurs), l’entrepreneur pratique l’élevage du bétail et de la volaille dans sa ferme.

Bangou Tandia dans sa ferme juillet 2024 / image : Khaled Mohamed

En attendant la fin des travaux d’un poulailler, le fermier élève des centaines des pintades qui font la navette entre le site et la brousse. Dans la journée, on aperçoit que quelques pintades sortir, une à une, des poulaillers artisanaux en banco. « Depuis 2021, nous pratiquons aussi l’élevage de moutons pendant la saison sèche (période au Sahel allant de septembre à juin). L’année précédente, nous avions une vingtaine de têtes. Toutes ont été vendues à la veille de la fête de Tabaski. Si les récoltes sont bonnes cette année, nous allons acheter des bœufs et des vaches pour accélérer l’embouche », projette l’entrepreneur devant un enclos vide, mais jalonné de traces d’animaux.

Bangou Tandia dans sa ferme juillet 2024 / image Khaled Mohamed

Entre vie de famille et métier de ferme, l’entrepreneur quitte à moto son domicile le matin de bonne heure et n’y retourne qu’aux environs du crépuscule. Jonglant entre l’élevage du bétail de la saison sèche et le maraîchage permanent, la ferme est confrontée à la pénurie d’eau, attardant ainsi la mise en application du système intégré. « Pour faire face à l’insuffisance de l’eau, nous avons prévu de mener l’élevage sur un autre site où l’eau est plus accessible. Même si ce sera dans une lointaine brousse. », ambitionne-t-il.

Un puits dans la ferme de Bangou Tandia juillet 2024 / image : Khaled Mohamed

En plus de ce retard, les récoltes de la ferme sont insuffisantes pour la consommation locale. Marchand de légumes au village, Modibo Sylla importe des légumes, des œufs et plusieurs autres produits alimentaires de Kayes. « Pour un bénéfice de 25 000 F CFA, j’investis au minimum 40 000 F CFA chaque semaine », constate-t-il devant une table sur laquelle sont exposés des tas d’oignon, de choux, d’aubergine, de patate etc.
Malgré le mauvais état des routes, parfois inondées pendant l’hivernage et surtout la hausse du prix du carburant qui entraînent le retard et l’augmentation des frais de transport (De 2016 à 2024, le frais de transport des passagers passe de 2 000 F CFA à 4 000 F CFA, celui des commandes passe de 1 000 à 2 000 F CFA), les légumes sont sollicitées par les ménages en toute saison.
« Chaque jour, mes fournisseurs kayesiens envoient des sacs et cartons de légumes. Mais au bout de trois jours, la demande est plus pressante. Parfois, il faut attendre des jours voire des semaines avant l’arrivage des produits comme la pomme de terre. », s’étonne le marchand.

Bangou Tandia dans sa ferme juillet 2024 / image : Khaled Mohamed

Parlant des conséquences de la migration massive, Bangou Tandia souligne le manque de patience des jeunes et surtout le retard des adultes dans l’entrepreneuriat rural. « Parmi ceux qui viennent à la ferme, il y en a qui ont les moyens financier, mais hésitent de se lancer. Des retraités et travailleurs disent qu’ils n’ont plus le temps et la santé physique pour se consacrer aux travaux de la ferme », fait-il remarquer.

Malgré la réussite de plusieurs jeunes, le concept de l’entrepreneuriat n’est pas compris

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Le temps de convaincre les jeunes, les travailleurs migrants et les retraités qui payent le frais du périlleux voyage maritime, la réussite du fermier se démarque de l’ordinaire. En effet, de nombreux jeunes, ayant montré leur ambition de lui emboîter le pas, ont finalement jeté l’éponge en prenant la route du vieux continent.

Khaled Mohamed Dramé

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