Migration irrégulière féminine : le tournant d’un phénomène inquiètant

Article : Migration irrégulière féminine : le tournant d’un phénomène inquiètant
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7 août 2024

Migration irrégulière féminine : le tournant d’un phénomène inquiètant

Ces dernières années, la migration clandestine féminine vers l’Europe est monnaie courante au sein des communautés Soninké. Mais à quel prix ces femmes et jeunes filles quittent leurs villages ?

Autrefois, dans nos communautés, la femme était le pilier du foyer. Jouant un rôle à la fois affectif et éducatif pour les enfants, celle qui assurait le ménage ne partait jamais à l’aventure pour faire fortune. Peu importe, ses moyens, c’est son époux qui s’attachait au bien-être du foyer.


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Malgré cette réalité sociale, la migration des femmes ne date pas d’aujourd’hui. Organisés, dans le cadre du mariage, de la filiation, des études ou du commerce, les départs des femmes vers l’Occident s’effectuent, depuis des décennies, par voie légale (Visa).

By AMISOM via Iwaria Images

Ces dernières années, la migration clandestine des femmes connaît un tournant majeur. Jeunes filles, femmes célibataires, mariées ou en situation de divorce, nombreuses sont celles qui sont hébergées dans des centres, appelés foyers, des villes côtières du Sénégal, de la Mauritanie et du Maroc.

Un tabou au village

Au cours de nos enquêtes, des sources ont mis en avant des raisons économiques. D’autres femmes espèrent retrouver des « amis » qu’elles auraient rencontrés sur les réseaux sociaux. Sans demander l’autorisation de leurs parents ou fuyant leurs maris villageois, des femmes mariées tournent le dos à leurs enfants, souvent très jeunes, au pays en mettant le cap sur l’Atlantique.

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La plupart utilisent les revenus de leurs activités économiques (restauration, vente de produits cosmétiques, etc) pour payer le frais du voyage (environ un million de francs CFA). D’autres bénéficient du soutien financier des membres de leurs familles, de leurs époux ou encore des amants, en situation irrégulière, sur le vieux continent.

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Au village, la migration clandestine féminine reste un tabou. Raison pour laquelle celles qui rêvent ce projet préfèrent partir incognito. Selon plusieurs de nos compatriotes habitants des foyers de Nouadibou, les migrantes couvrent leur visage du voile pour éviter d’être reconnues dans les rues de ladite ville.

Au cours du périple, les migrants relient les deux continents au péril de leur vie. En plus de la fatigue et la maladie, les dames sont souvent à la merci des hommes. A en croire un revenant du périlleux voyage, les femmes et les jeunes filles doivent parfois se plier au chantage des passeurs, sous peine de ne pas être dans le convoi.

Toujours selon notre interlocuteur, des migrantes cohabitent avec des compagnons de voyage dans le même bâtiment, voire partager la même chambre. Au bout des semaines et mois de relations circonstancielles, rares sont celles qui ne seront pas en état de grossesse.

« Nous rejoignons la plage en traînant à quatre pattes. »

Makan Diarra


Face à l’insuffisance de moyens de sauvetage et d’assistance humanitaire sur les côtes africaines, plusieurs activistes tirent la sonnette d’alarme. Regroupés à bord des pirogues en bois, des dizaines et centaines de migrants passent des jours sur la mer.



Rescapé d’un périple en 2021, Makan Diarra se souvient encore des huit jours et huit nuits de voyage qu’il a vécu sur l’Atlantique. Constitué d’une quarantaine de personnes (dont des femmes), leur convoi, allant de Nouakchott pour l’Espagne, se retrouve sur les côtes mauritaniennes. « Assis étroitement pendant des jours sans manger, personne ne pouvait sortir du bateau en marchant », se remémore-t-il.

Port artisanal de Nouadibou By Bertramz via Wikimedia

« Nous rejoignons la plage en traînant à quatre pattes. Ceux qui ne parviennent pas à s’échapper très tôt sont arrêtés, emprisonnés et maltraités par la police » déplore-t-il. En effet, au moins trois de ses compagnons ont succombé à bord. Plusieurs autres ont été transportés vers un centre de santé.

En attendant la vie de leurs rêves

Peu importe la destination des embarcations, les cas de décès et malades sont souvent constatés. Pendant ce temps, en Europe, le marché du travail, plus ou moins pléthorique, exige une main d’œuvre qualifiée. Celles qui n’ont pas fréquenté l’école apprennent à lire et à écrire la langue du pays d’accueil, se forment pendant des années avant d’embrasser une activité professionnelle (électricité, menuiserie, jardinage etc.) et avoir le statut de « régulières » sur le territoire.

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En attendant la vie de leurs rêves (la fortune, un mari et des enfants nés en terre européenne), des migrantes sont reconverties vendeuses de produits africains (comme la nourriture) au sein de la diaspora. Entre temps, beaucoup d’entre elles deviennent des « influenceuses » sur la toile où leurs vidéos affectent des centaines des femmes et jeunes filles qui les suivent au pays.

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Dans un monde où la contribution des femmes migrantes est rare dans la mise en œuvre des projets communautaires de développement, la migration féminine est plus préoccupante que le départ massif des hommes. Après tout, parmi celles qui partent, seule une infime partie revient s’installer au pays.


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Sur la société, le phénomène a des nombreuses autres conséquences. La détérioration des valeurs traditionnelles, les divorces récurrents et surtout le dépeuplement, à travers l’accroissement du nombre de candidats à la migration sont à l’origine des inquiétudes.

Khaled

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