Exploitation humaine au Mali : Le « petit enfer » des aide-ménagères

Article : Exploitation humaine au Mali : Le « petit enfer » des aide-ménagères
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27 mai 2021

Exploitation humaine au Mali : Le « petit enfer » des aide-ménagères

Dans les rues de Bamako, on se croise régulièrement avec ces jeunes filles en t-shirt, les unes, matinale, panier sur la tête en provenance du marché, et les autres qui agitent, sous les rayons du midi accablant, les sachets d’eau aux abords des artères. Qui sont ces aide-ménagères ? Dans quelles conditions travaillent-elles ?

Crédit photo : Maliweb

L’aurore matinale lève paisiblement le voile noir de l’aube. Dans la clameur du jour naissant, un bruit sec attire l’attention du visiteur vers un nuage de poussière. Accroupie sur la terrasse, un nourrisson au dos, une jeune mère se sert de son balai pour ramasser les débris d’ordures entassés au sol, les regrouper et les jeter dans une poubelle installée juste à côté du portail. Après avoir balayé la cour et ses alentours, Tenin termine ainsi sa première tâche quotidienne, donnant le ton d’une longue et épuisante journée.

Tâches

« Originaires des villages parfois très éloignés de Bamako, les aide-ménagères sont ces filles migrantes qui sont devenues presque des co-épouses dans nos foyers, constate le sociologue Docteur Bréma Ely Dicko. En quête d’une vie meilleure ou tout simplement dans le but de constituer leur trousseau de mariage (ustensiles nécessaires pour leurs futurs ménages), elles travaillent en moyenne 12 à 14 h par jour pour un salaire estimé à environ 400 FCFA par jour ». Balayer la cour de la concession, acheter les condiments au marché, faire la cuisine, la vaisselle et la lessive, assister les étrangers, les personnes âgées et malades..la journée de l’aide-ménagère déborde de diverses tâches qu’elle doit accomplir du matin de bonheur jusque tard dans la nuit.

Plus vulnérables

Porte-parole de l’Association de défense de droits des Aide-ménagères et Domestiques (ADDAD), qui réunit près de 1 000 membres à ce jour, Aïchata Koné présente la particularité de jongler entre ses études universitaires (licence en lettres) et l’aide-ménage. « J’ai commencé ce travail quand j’avais 15 ans, se souvient-elle. A l’époque, je profitais des vacances scolaires pour venir faire fortune en ville. Face à mon jeune âge, certains patrons ne payaient pas la totalité de mon salaire. Et mon corps n’étant pas adapté, il m’était difficile de supporter certains travaux réservés aux adultes ».

Si les employeurs les logent et nourrissent souvent à leurs frais, il faut dire en revanche que les aide-ménagères figurent parmi les couches socio-professionnelles les plus vulnérables au Mali. Loin des bénéficiaires du SMIG (salaire minimum interprofessionnel garanti) malien, estimé à 40 000 FCFA, elles ne perçoivent leurs maigres salaires (7 000 à 25 000 FCFA) qu’au terme d’un mois de travail sans la moindre journée de repos. En plus de cela, « les aide-ménagères font souvent face à des brimades et des insultes, ajoute le sociologue Dicko. D’autres sont même victimes d’abus sexuels tantôt de la part de certains patrons, tantôt de la part des jeunes du quartier qui profitent de leur misère pour en faire des objets.». 

Face à ces difficultés, « notre association lutte depuis plusieurs années pour la ratification, par l’État malien, de la convention internationale du travail (qui prévoit une égalité de traitement avec les travailleurs d’autres domaines), explique la porte-parole. L’ADDAD intervient également dans des cas de violences physiques et de non paiement de salaire dont certaines de ses membres sont souvent victimes. Enfin, lors de la signature du contrat de travail elle recommande aux nouvelles recrues de ne pas accepter certains travaux insupportables ou de dormir dans des endroits précaires comme sur la route ou sous les escaliers ».

« Arrangement verbal » 

Ces mesures de l’ADDAD ont du mal à passer dans le milieu, car « la plupart d’entre elles se font recruter sur le tas, s’indigne un fonctionnaire à la retraite. Celles-ci ont moins de chance d’obtenir gain de cause en cas de litige, car aucun contrat ne les lie à leurs patrons. Juste un arrangement verbal sans durée déterminée ». 

Qu’à cela ne tienne, le séjour en ville s’avère profitable pour la plupart. « Non seulement elles parviennent à satisfaire leurs besoins, acheter leur trousseau et aider leurs parents au village, mais aussi et surtout découvrent voire même s’adaptent à d’autres réalités qui sont très importants dans leur socialisation », souligne le sociologue Bréma Ely Dicko.

Les déplacées

Estimée à plusieurs dizaines de milliers de personnes à Bamako, la population des aide-ménagères ne cesse de s’accroître dans la capitale ces dernières années. Surtout avec la crise sécuritaire qui fait rage au centre du pays depuis 2018 où des villages sont attaqués et des écoles fermées.

Nombreuses sont celles qui prennent le chemin des villes. Pour gagner leur vie, les jeunes femmes et filles, qui constituent la grande majorité des déplacés, embrassent souvent le métier d’aide-ménagère.

Khaled Mohamed

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Commentaires

Fatima Traore
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Cet article est tres instructif.
Well written. Well done.

Khaled Mohamed
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Merci