Valeurs sociétales : La kola, un fruit pas comme les autres

Article : Valeurs sociétales : La kola, un fruit pas comme les autres
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21 septembre 2021

Valeurs sociétales : La kola, un fruit pas comme les autres

De goût amer et de forme généralement gélulaire, la noix de kola (le mot s’écrit aussi : cola) est issue du colatier, une plante qui pousse dans les forêts tropicales de la Guinée et de la Côte d’Ivoire. Le panier de kola passe d’abord, emballé dans des feuilles humidifiées de ladite plante puis dans des sacs pendant une semaine au maximum, par la frontière avant d’atterrir dans la capitale malienne. Consommé dans les cérémonies sociales (mariage, baptême, décès etc.), le fruit est vendu par des revendeurs grossistes dans les marchés de Bamako.


Crédit photo : Deposit photo

Alors qu’un soleil de plomb répand ses rayons sur le marché, Mamady Keita défait un panier de kola. « Woro bey ! Woro bey ! (Du kola ! Du kola !)», interpelle-t-il.

« Quand je venais ici pour la première fois, il y a quelques décennies de cela, il n’y avait que des revendeurs de kola. Mais depuis quelques années, l’accès est devenu de plus en plus difficile, car d’autres commerçants s’y sont installés. C’est pourquoi nous mettons des jeunes juste à l’entrée de la cour afin qu’ils aident nos clients à reconnaître nos places », constate le sexagénaire à l’ombre d’un hangar installé en face des kiosques à fripes.

Facteur de cohésion

Consommée depuis des siècles en Afrique de l’Ouest, la kola a diverses fonctions dans la société mandingue. « Le fruit est souvent consommé comme un stimulant ou tout simplement pour le plaisir de mâcher pour les amateurs », explique Mamadou Ben Chérif Diabaté, communicateur traditionnel et journaliste à la retraite.



Facteur de paix et de cohésion sociales, la kola a une représentation particulière dans les relations humaines. « Offrir la kola à quelqu’un veut dire se débarrasser de tout sentiment de haine et de jalousie envers lui. C’est pourquoi la kola demeure au centre de toutes les décisions importantes. », interprète Mamadou Doumbia, thérapeute et Secrétaire à l’organisation du Mouvement N’ko au Mali. Aujourd’hui enseignant en N’ko, M. Doumbia avait vendu le fruit sacré pendant dix années au cours desquelles il avait régulièrement voyagé entre la Côte d’Ivoire et le Mali.

« Pour avoir la terre ou doter une femme, la personne doit d’abord offrir les dix noix de kola avant de faire quoi que ce soit. Lorsqu’il y a conflit entre deux individus, le plus jeune s’acquitte du même fruit pour la réconciliation. Bref, les dix noix de kola sont indispensables dans les relations sociales. Qu’elles soient les mariages, les cérémonies de baptêmes ou les décès », ajoute Ben Chérif Diabaté.

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Utilisée dans les rituels, la kola constitue une matière première de l’industrie agro-alimentaire. Elle a aussi des vertus sur le plan médicinal. « La noix de kola est un remède efficace pour des maladies. Elle peut guerrir la faiblesse sexuelle chez l’homme et chasser la mauvaise odeur de la bouche », témoigne le thérapeute.

Avec sa capacité à assouvir la faim et la fatigue, la consommation du fruit peut causer une mauvaise haleine et colorer la dentition. Face à ces conséquences, Abdoul Wahab Diakité pointe du doigt la consommation abusive du fruit. « La kola est une tonique cardiaque, déclare-t-il. Consommer une ou deux noix de kola par jour peut guerrir des maladies. Cependant, tout produit consommé abusivement peut avoir des effets sur la santé. La kola n’en fait pas d’exception ». Vice-président de l’Association des Consommateurs du Mali (ASCOMA), M. Diakité mâche quelques noix de kola par jour.

Résilience

Malgré la place qu’elle occupe dans les relations sociales, la kola n’est pas officiellement recommandée par les religions musulmane et chrétienne dont les adeptes constituent la grande majorité des populations. Encore moins, par l’Administration publique très influencée par le système de l’ex Colonisateur français. « Certes, les arabes, à travers l’islam, et les occidentaux, à travers la colonisation, ont eu des impacts sur notre culture, mais il faut reconnaître que la plupart de nos valeurs ne vont pas à l’encontre des leurs. Raison pour laquelle la kola a toujours gardé sa valeur, car elle a toujours symbolisé les valeurs morales », constate le thérapeute Mamadou Doumbia.

Parlant du rôle symbolique de la kola, le prêcheur Abdoul Karim Haidara souligne la consommation du fruit sur les lieux de culte musulmans. « Ni le coran ni les hadith n’ont fait mention du fruit. Mais tout support qui renforce la cohésion et la fraternité entre les hommes est encouragé en islam. Tant que celui-ci ne nuit pas à la santé », explique le prêcheur.
« La kola est utilisée dans les mosquées et sur d’autres lieux de bénédiction, poursuit-il. Lors de l’officialisation des mariages et des baptêmes, elle est souvent melangée avec la date pour être partagée aux fidèles à la fin de la prière ».

Revalorisation


Trait d’union entre les groupes ethniques et les communautés religieuses (animistes, chrétiens et musulmans), le fruit emblématique n’est pas à ce jour inscrit au patrimoine de l’UNESCO. A ce sujet, le traditionaliste Ben Chérif Diabaté suggère une étude sociologique. « Il est nécessaire que l’UNESCO engage une étude sociologique du fruit. Cela permettra aux chercheurs de voir toutes ses dimensions dans les relations sociales », propose-t-il.
Quant au thérapeute, il met l’accent sur la valorisation du produit sur le marché. « Il faut organiser le commerce de la kola, ne serait-ce qu’en accordant une valeur marchande. C’est un fruit purement local. Et si nous ne le donnons pas une certaine valeur chez nous, difficile d’espérer le soutien des autres. », conclut-il.

Importé de Conakry ou d’Abidjan, le panier de kola rapporte jusqu’à 50 000 F CFA au revendeur malien. Ce bénéfice remonte à 60 000 F CFA entre octobre et janvier où le fruit devient moins abondant sur le marché. Une saison propice pour le sexagénaire Keita qui gagne parfois 100. 000 F CFA de la vente en une semaine.

Khaled Mohamed

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